Le statut de l’embryon et du foetus

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A partir de quel moment un être humain est-il considéré comme vivant ou plutôt reconnu comme tel par la société ? C’est toute la question que pose une nouvelle fois un récent arrêt de la cour de cassation qui donne la possibilité de déclarer à l’état civil un fœtus né sans vie quel que soit le stade de son développement. Voilà qui relance le débat entre traditionalistes anti-avortement et défenseurs du droit des femmes. Explications.

Le statut de l’embryon : l’état des lieux

A l’heure actuelle, dans le droit français, il faut qu’un embryon ait au moins 22 semaines ou pèse au moins 500 grammes pour que son inscription à l’état civil soit possible. Des chiffres qui correspondent à la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé – OMS – depuis 1977 et qui considère qu’il faudrait 22 semaines pour qu’un fœtus soit viable en dehors du corps de sa mère. Or, cette disposition, si elle est appliquée, ne figure pas dans une loi mais dans une simple circulaire administrative.

Statut du fœtus : un fait d’actualité

Le 6 février 2008, la cour de cassation a accédé à la demande de trois couples « parents » de trois fœtus nés sans vie entre 1996 et 2001 qui avaient entre 18 et 21 semaines et pesaient entre 155 et 400 grammes. Ces couples s’étaient vus refuser la possibilité d’enregistrer à l’état-civil la naissance de leur bébé.

La cour de cassation a remis en cause cette décision en s’appuyant non pas sur la disposition de l’OMS mais sur le Code Civil – article 79-1, alinéa 2 – qui  ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus ni à la durée de la grossesse. Une décision  apparemment de forme plus que de fond, de pure légalité, qui met en lumière le vide juridique autour de cette question.

L’avocat général qui a présenté ses conclusions a d’ailleurs expliqué sa volonté de bousculer le législateur – en clair les députés et les sénateurs – pour le pousser à créer une loi qui aurait plus d’autorité qu’une circulaire et qui mettrait enfin tout le monde devant les mêmes droits. Ce qui ne voudrait pas dire, loin de là, qu’elle mettrait tout le monde d’accord.

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Vivra, vivra pas ?

Car cet arrêt a déchaîné des passions jamais éteintes. Même s’il ne remet pas en cause juridiquement le droit à l’avortement, les gardiens du droit des femmes à disposer de leur corps y voient une brèche où s’engouffreraient facilement les intégrismes. Leur inquiétude ?

Si cet arrêt fait jurisprudence, si aucune loi ne vient le contredire, tout embryon, quel que soit son stade de développement, sera un être humain… Dont il pourrait logiquement dans ce cas être criminel d’avorter. Dans une interview donnée à l’humanité le 9 février dernier, le professeur Axel Kahn, généticien et figure emblématique de l’intelligentsia de la bioéthique, déclarait : « les conséquences perverses de cet arrêt l’emportent de loin sur les douleurs et les frustrations auxquelles il veut porter remède »…

Et de dénoncer « une montée en puissance extrêmement vive, à travers les intégrismes religieux, de la contestation de la liberté donnée à une femme de réclamer une interruption de grossesse ». Défenseur de l’avortement, le mouvement français pour le planning familial s’est quant à lui dit « scandalisé » par la décision de la Cour de cassation. D’autres imaginent déjà quantité d’abus auxquels cet arrêt pourrait ouvrir la voie : droit à des congés maternité après quelques semaines d’aménorrhée, droit aux allocations familiales… Du côté des heureux, les associations anti-avortement bien sûr et les catholiques les plus convaincus.

Selon Jean Goyard, président du Droit de naître, association qui milite pour le statut juridique de l’embryon, cet arrêt est « un bon pas, dans le bonne direction ». Il évoque le paradoxe qui consiste à nier le statut d’enfant à un fœtus mort-né alors que, si le mari d’une femme enceinte meurt, le bébé qu’elle attend hérite. Notion complexe que celle d’être vivant. Complexe et floue, si loin de la violence des émotions que vivent les familles…

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Le poids affectif du fœtus

Car cet arrêt de la Cour de Cassation représente un immense espoir pour bien des familles qui perdent un enfant avant terme alors qu’ils se faisaient une joie de son arrivée, qu’il faisait déjà, du moins dans leur imaginaire, partie de la famille.

Ces gens-là réclament le droit de donner un prénom à leur enfant né sans vie, de l’inscrire dans une généalogie, le droit aussi, pourquoi pas, de lui offrir des obsèques. Le droit également de voir leur peine officiellement reconnue.

Et alors que certains arguent de ce droit à un deuil décent, d’autres y voient un délire morbide qu’il ne faut pas encourager. C’est le cas de Chantal Birman, vice-présidente de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse qui déclare : « On ne peut pas vivre avec un cimetière dans la tête ! ». Et c’est là tout le problème : le gouffre qui existe aujourd’hui entre le ressenti des familles et ce que dit la loi. Car la joie d’attendre un enfant ne se compte pas pour ces familles en nombre de semaines. Et que l’enfant à naître ait 15, 18 ou 22 semaines n’y change rien !

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Statut de l’embryon: quand commence la vie ?

Alors, qui est un fœtus mort-né s’il n’est pas un être humain ? Certains répondraient froidement « un amas de cellules qui va être incinéré, un déchet opératoire ». Chacun se souvient du scandale des 351 fœtus morts retrouvés par hasard en 2005 à l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul et qui avaient été conservés dans des bocaux depuis 10 ans…

Bien que la conservation des fœtus soit interdite depuis une circulaire du 30 novembre 2001 et que la loi du 6 août 2004 subordonne le prélèvement de tissus et de cellules embryonnaires ou fœtaux au consentement écrit de la femme, après information sur les finalités du prélèvement. Aujourd’hui, le statut du fœtus ne reste qu’une immense question à laquelle nul gouvernant n’a semble-t-il souhaité répondre. Et pour cause. Au-delà des émotions contraires que la question soulève, qui sommes-nous, mêmes sages et érudits, pour décider ou pas d’officialiser la vie à un moment donné ? Il n’est pas si simple pour un humain d’en décider…

Ce qui supposerait, si l’on pousse le raisonnement, que l’on puisse aussi décider de la mort, autre question pour le moins délicate. Ce qui est sûr, c’est que les parlementaires auront à plancher pour réduire le décalage entre la loi et la morale dans la perspective des lois de bioéthique qui doivent être revues pour 2009. Où commence la vie ? Avant que la loi ne nous donne un avis précis sur la question – qu’elle ne saurait ignorer plus longtemps -, voilà un beau sujet pour nos futurs candidats au baccalauréat !

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