Déni de grossesse: quelle femme enceinte sommeille en moi?

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Au XXIe siècle, comment peut-on ignorer être enceinte jusqu’au moment d’accoucher ? L’affaire Courjault nous a récemment plongés douloureusement au coeur de cette contradiction. Le déni de grossesse, véritable paradoxe dans nos sociétés qui encensent la maternité, est un trouble psychique qui peut toucher n’importe quelle femme. Décryptage.Le 14 février dernier, Sheryfa Luna, la gagnante de l’émission Popstar 2007, a mis au monde un beau petit Vénus de 3,93 kg pour 51 cm. Heureux dénouement pour une jeune femme victime d’un déni de grossesse jusqu’à… six mois ! Mais parfois, les histoires de déni finissent mal, notamment lorsque le déni est total (jusqu’à l’accouchement). Le 26 mars 2008, en Bretagne, on a découvert un bébé congelé par sa mère, suite à une grossesse non décelée.

C’est le 3e cas en France depuis l’affaire Courjault. Des drames qui posent question : comment a-t-on pu en arriver là ? Le déni de grossesse commence quand il y a non-reconnaissance de la grossesse, par la femme enceinte, au-delà du premier trimestre. Il peut être partiel (quand il prend fin avant le terme de la grossesse) ou complet. C’est un mécanisme de défense inconscient : il y a quelque chose dans la réalité de la grossesse que la femme ne peut pas supporter.

Son corps devient alors « complice » de son inconscient : elle ne grossit pratiquement pas, n’a pas de nausées, pas vraiment de ventre : le bébé se positionne de manière très particulière, le long de la colonne vertébrale de sa mère et il ne bouge que très peu.

Déni de grossesse: l’entourage aussi!

« Les manifestations physiques habituelles de la grossesse sont quasi absentes, ou très minimisées, ou rapportées à autre chose de cohérent.

Par exemple, une victime dira « j’ai pris trois kilos,  c’est juste parce que j’ai abusé des gâteaux », ou «  je n’ai pas mes règles en ce moment, mais j’ai toujours eu des règles erratiques », ou « j’ai la migraine et des vertiges, car je suis super stressée », etc. Nombreuses aussi sont celles qui ont des règles ou du moins des saignements génitaux tous les mois », explique le Dr. Félix Navarro, président de l’Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse (AFRDG). Du coup, la victime du déni continue ses activités comme si de rien n’était. L’entourage, et en premier lieu les partenaires, sont « contaminés » par le déni.

 Ces hommes ne sont pas des naïfs : ils n’ont rien vu car il n’y avait rien à voir. D’ailleurs, même des médecins s’y font prendre : Gaëlle Guernalec-Lévy, auteur d’une enquête sur la question (Je ne suis pas enceinte, Stock, 2007), raconte l’histoire d’une jeune femme qui s’est présentée aux urgences pour de très fortes douleurs abdominales et lombaires. Seul le troisième médecin qui l’examinait, au bout de quatre heures, s’est rendu compte qu’elle était en train d’accoucher d’un enfant à terme !

Autant de causes que de dénis

Si le déni de grossesse est un trouble psychique, les femmes qui en souffrent ne sont pas folles. En fait, ce phénomène peut toucher n’importe qui, et pas seulement celles qui ne veulent pas d’enfant, des malades mentales ou des adolescentes ignorantes. Le déni frappe à tous âges, des femmes de toutes conditions sociales, de toutes origines, de tous niveaux d’instruction. La moitié d’entre-elles environ a même déjà été mère ! Là, le paradoxe est total : comment expliquer qu’une femme qui a déjà connu les sensations de la grossesse ne les reconnaisse plus ?

 En fait, comme souvent en psychiatrie, il y a autant de causes qu’il y a de cas : des dénis se mettent en place parce que la grossesse est vécue comme un danger, une honte, parce qu’un nouveau bébé serait de trop ou parce que ce ne serait pas le moment dans une carrière. Pour Gaëlle Guernalec-Lévy, le déni peut aussi survenir parce que la femme souhaitait inconsciemment vivre une grossesse non médicalisée…

Victoria Bedos, journaliste et auteur d’un recueil de nouvelles intitulé Le Déni (Plon, 2007), explique que de très jeunes filles peuvent ne pas être prêtes psychologiquement à faire un enfant car elles se sentent encore enfant elles-mêmes. D’autres femmes, qui ne s’acceptent pas en tant que femme, vont refouler la maternité comme symbole de féminité. « Il y a aussi des dénis de grossesse qui sont la conséquence d’un viol ou d’un inceste. La femme nie le fruit de cet acte horrible qui l’a souillée. » Enfin, pour certains psychiatres, le déni peut être une façon de protéger le bébé, qui sans cela risquerait l’avortement…

Déni de grossesse: quand le bébé meurt

Les faits divers sont là pour le rappeler : le déni total peut conduire au décès du bébé. Mais cette issue fatale ne constitue qu’un très faible pourcentage des dénis de grossesse : pas plus de 5% pour le Dr. Navarro. « L’assimilation systématique de la mort du nouveau-né à un infanticide constitue un raccourci trop rapide.

La naissance est un moment de fragilité pour l’enfant. Même dans les meilleures maternités, des nouveau- nés décèdent naturellement dans les suites de couche. Alors un accouchement survenant sans que la femme s’y attende, dans des conditions matérielles inappropriées (seule chez soi, aux toilettes, en voiture…), majore d’évidence ce risque de décès » rappelle-t-il. Et si des mamans, totalement sidérées par ce qui vient de se passer, peuvent tuer leur bébé dans une sorte de folie passagère, « dans la majorité des cas le bébé meurt en fait d’un défaut de soins et non d’un geste de la mère », rapporte Gaëlle Guernalec-Lévy.
C’est pourquoi, comme le Dr. Navarro et Victoria Bedos, elle estime que le traitement judiciaire qui leur est réservé est injuste.

Le déni de grossesse devant les tribunaux

En effet, depuis 1994, les femmes ayant tué (ou laisser mourir) leur enfant ne sont plus accusées d’infanticide mais d’ « homicide volontaire sur mineur de moins de 15 ans », un crime passible de la perpétuité. « Même si leur peine de prison va rarement au-delà de dix ans et couvre souvent la détention provisoire, c’est très cher payé. La justice a encore une vision morale des choses : elle cherche à punir ces meurtrières d’enfant, qui auraient très bien pu avorter. Encore fallait-il qu’elles aient eu conscience d’être enceinte avant le délai légal d’avortement !

Tant que le déni de grossesse ne sera pas reconnu comme une vraie pathologie, on enverra encore des femmes en prison sans raison » dénonçait Gaëlle Guernalec-Lévy en mars 2007 dans une interview à 20Minutes.fr. Quant à Félix Navarro, il conclut par ces mots : « depuis quatre ans que je travaille sur le sujet, j’ai vu l’opinion publique évoluer et je lis beaucoup moins de sottises dans les médias. Cela dit, tous les professionnels de santé ne sont pas encore au point et la justice encore moins. Nous avons donc sensibilisé le ministère de la Santé en janvier 2008.

Nous souhaitons qu’il se positionne et soutienne diverses initiatives, telles l’organisation de colloques, de conférences d’informations, de publications et de recherches ». Il est vrai qu’avec plus de 1000 cas par an, le déni de grossesse devrait être reconnu comme un problème de santé publique, et non comme un fait divers.

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