Diagnostic prénatal : les limites du dépistage

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Le dépistage précoce des maladies ou des malformations du fœtus (diagnostic prénatal) est le passage très redouté de la grossesse. Il faut dire que les « petits » handicaps – anomalies des reins, du cœur, fente palatine ou malpositions des pieds – sont assez fréquents et posent des problèmes de fond. Le point avec le docteur Luc Gourand, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets (Paris).

Le diagnostic prénatal : les échogaphies et la recherche d’anomalies foetales

 Encadré : Rappel échographie
Il n’y a pas d’échographie obligatoire, mais pour un meilleur suivi de la grossesse trois échographies sont recommandées et prises en charge par la Sécurité sociale, à 12, 22 et 32 semaines d’aménorrhée. Elles ont pour but de contrôler la croissance de l’enfant, de réaliser un examen morphologique, de vérifier la présentation et de localiser le placenta. Et donc, le cas échéant, d’envisager une opération du fœtus in utero ou à la naissance.

Côté Mômes : Parmi l’ensemble des examens mis en œuvre pour le dépistage des anomalies fœtales, les trois échographies de la grossesse constituent la première ligne du diagnostic prénatal. Que peut-on détecter à ces moments ?

Luc Gourand : En France, l’échographie « tout-venant » pratiquée dans le diagnostic prénatal décèle entre 60 et 70% des anomalies fœtales, et c’est déjà très bien parce qu’il y a des pays où ils en sont à 30%. Dans une échographie « de base », la principale difficulté du médecin, c’est qu’il ne sait pas ce qu’il va trouver, contrairement aux échographies de référence pratiquée dans des centres très spécialisés où les médecins sont presque à 100% car ils savent ce qu’ils cherchent.

 Cela dit, la moyenne de l’écho tout-venant risque de changer. Si le nombre d’échographistes continue de baisser, on va s’orienter, comme les Américains vers des sonographeurs, dont le statut n’est pas d’être médecins, mais plutôt manipulateurs radio. C’est ce qu’on trouve par exemple dans les cabinets d’échographie-spectacle : des gens qui savent très bien manipuler l’appareil, qui font de belles images mais ne savent pas nécessairement ce qu’ils voient…

Pas égales devant l’échographie

CM : Il existe une qualité inégale dans la réalisation de l’échographie et donc dans la qualité du diagnostic prénatal. Comment l’expliquer ?

LG : D’abord par la variabilité des statuts : en France, il n’y a qu’un tiers des échographies qui sont faites par des gynécos obstétriciens, les autres sont réalisées par des radiologues, des généralistes, des sages-femmes. Ce n’est pas la même formation clinique au départ. Sage-femme et obstétricien savent palper un ventre de femme enceinte, ce que c’est que le col, une menace d’accouchement prématuré, des saignements en cours de grossesse…

Ils n’explorent donc pas une femme avec leur appareil de la même façon qu’un radiologue ou qu’un généraliste, qui n’a pas la même formation ni la même implication. Mais vu la baisse du nombre d’échographistes depuis l’arrêt Perruche (voir encadré) et vu que l’hôpital ne peut pas tout prendre en charge, les femmes n’ont plus le choix. Elles vont voir des radiologues qui leur font des échographies plus ou moins adaptées à la situation du diagnostic prénatal.

On est malheureusement passé à une échographie à plusieurs vitesses… Et ce sont les plus défavorisées qui trinquent. Pourtant, il existe aujourd’hui des outils s’appuyant sur des bases de données extraordinaires sur Internet. On a ainsi très vite la possibilité d’avoir des réponses à des questions.

Echographies et diagnostic prénatal : distinguer anomalies et handicaps

CM : Quelles sont les malformations les plus courantes ?

LG : Les malformations des reins, dans 1 à 3% des grossesses : souvent de petites dilatations sur les bassinets qui terrorisent les gens, qui imaginent déjà leur bébé en dialyse. D’autant que quand le diagnostic prénatal en détecte une pendant la grossesse, vous ne savez pas d’avance si vous êtes dans un registre d’obstruction – il faudra opérer un jour – ou si vous êtes dans un régime fonctionnel – ça va s’arranger tout seul. Pour les gens, la panique est la même, d’autant qu’il y a en plus une petite suspicion : cette anomalie serait-elle le signe d’autre chose, comme une trisomie ? On est alors souvent conduit à proposer une amniocentèse pour voir si le caryotype est normal, ce qu’il est presque toujours, heureusement.

En 2e position, on trouve des problèmes de cœur anatomiques et des troubles du rythme. Ensuite, ça se décline indéfiniment, à peu près dans les mêmes proportions. Dans les choses fréquentes, il y a aussi des malpositions du pied, qui ne sont pas forcément des pieds bots. Le mot est parfois employé un peu vite. Attention aux étiquettes !

CM : Comment éviter l’étiquette, justement ?

LG : La manière dont on présente les choses pendant le diagnostic prénatal est primordiale. Si vous dites tel quel : « je crois que c’est un pied bot », c’est foutu, la grossesse est marquée au fer rouge. En plus, c’est une bêtise de dire ça, car si le pied bot s’intègre dans un syndrome poly-malformatif, il faut d’abord aller chercher le reste.

Alors que si vous dites « je suis un peu embêté de vous dire ça, mais quand même ce pied n’est pas tout à fait dans l’axe, peut-être qu’il y a une petite malposition du pied ». Ce n’est pas pour minimiser les choses, c’est pour démarrer une interrogation avec la future maman. C’est dire « Je suis inquiet, je vous en fais part, mais je n’ai pas la réponse d’avance pour savoir où l’on se situe ».

Diagnostic prénatal: comment annoncer une anomalie aux parents?

 Encadré : La finalité du diagnostic prénatal
La loi de bioéthique du 6 août 2004 indique : « Le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le foetus une affection d’une particulière gravité. Il doit être précédé d’une consultation médicale adaptée à l’affection recherchée ». En 2009, la loi de bioéthique va être rediscutée. « Si alors on définit que l’embryon est une personne, on devra arrêter de faire de la médecine prénatale. Jusqu’à présent les juristes ont été prudents, mais que va-t-on voir venir ? Il n’y a pas eu de débat de société, de débat de fond, établissant clairement les droits des uns et des autres. En ce moment, on a le sentiment que le diagnostic prénatal est honteux en France. Dans les débats actuels, on voit un retour du conservatisme catho incroyable sur le droit à la vie » regrette Luc Gourand.

CM : De quelle manière un médecin est-il formé à l’annonce d’une anomalie ?

LG : Je ne crois pas à la « psychologie naturelle » mais au travail. Ainsi, j’ai eu la chance de travailler avec des gens qui sont dans d’autres spécialités que la mienne, chacun venait à tour de rôle raconter son expérience professionnelle et dire ce qui posait problème.

On s’est nourri les uns des autres, à la suite de quoi on a écrit des livres, fait des séminaires, des films, dont un DVD avec 60 professionnels sur cette question de l’annonce (Ecoute voir l’échographie de la grossesse – Les enjeux de la relation, 1999, ndlr)!

Mais cela ne touche que les gens que ça intéresse… L’annonce n’est pas dans la formation initiale des médecins. Et comment former des gens qui ne veulent pas l’être ? En effet, souvent dans l’idée de se protéger, les médecins se blindent face à la mort et l’infirmité. On les a beaucoup déstabilisés en leur disant qu’on doit mettre la même finesse, la même délicatesse dans son travail, qu’il s’agisse d’examiner madame Dupond à deux mois de grossesse pour qui tout va bien que madame Duschmoll avec un bébé manifestement handicapé pour qui la grossesse est une catastrophe… Quand on fait tout dans la même démarche, le même état d’esprit, cela permet de mieux gérer les coups durs.

Diagnostic prénatal et interruption médicale de grossesse

Côté Mômes : Le diagnostic prénatal aboutit à 95% d’interruption médicale de grossesse en cas de trisomie 21. Mais qu’en est-il quand il manque « juste » trois doigts ?

LG : Précisons d’abord que les demandes abusives d’IMG n’existent pas. La dérive eugénique, c’est un fantasme ! Mais cette question pointe du doigt ce que nous venons de voir, soit toute la négociation qui se fait entre le médecin et la patiente au moment où on va dire ce qu’il se passe. Face à un diagnostic prénatal « d’exceptionnelle gravité », il y a toujours un psychologue dans les services, mais le problème c’est de savoir s’il est vraiment disponible quand on a besoin de lui !

Partout, il y a des gens bien qui prennent sur leur temps pour voir les gens. Mais quand un psy a trois heures de vacation par semaine, vous l’appelez quand ? C’est bourré de paradoxes tout ça. Tout le monde est d’accord sur l’importance de la prophylaxie, sur le dépistage des gens fragiles, sur la prévention des dépressions du post-partum…

Mais les moyens ne sont pas au rendez-vous. Quand on râle en disant que dans ces conditions, on ne pourra pas maintenir la qualité des soins et la relation soignant/soigné, on vous dit d’aller ouvrir une boutique privée… Le vrai enjeu, c’est la défense d’un système de soin qui soit basé non pas sur les dépassements d’honoraires, mais les dépassements de soi-même !

 L’affaire Perruche
En 1989, Mme Perruche intente un procès à son médecin, le laboratoire et leurs assureurs, au nom de son enfant Nicolas, né lourdement handicapé suite à une rubéole non détectée, alors qu’elle avait informé de sa volonté d’interrompre sa grossesse au cas où le diagnostic de la rubéole serait confirmé. Le 17 novembre 2000, la Cour de Cassation rend un premier arrêt admettant l’indemnisation du préjudice de l’enfant en plus de celui des parents, reconnaissant ainsi implicitement qu’il y a des vies préjudiciables qui ne valent pas la peine d’être vécues. Emotion nationale, et menace des médecins de pratiquer un « eugénisme de précaution ». Le 4 mars 2002, la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, rétroactive, met fin à la jurisprudence Perruche. Mais en octobre 2005, la Cour Européenne des Droits de l’Homme désavoue le Conseil d’Etat : la loi de 2002 est retoquée, et pour les enfants nés avant 2002, c’est donc la jurisprudence Perruche qui s’applique.

CM : Depuis quelques années, les procès pour non détection d’anomalies ont explosé…

LG : Oui, et depuis, les médecins sont amenés à raisonner en terme de protection. Avant, le devoir du médecin c’était « Primum non nocere », c’est-à-dire « d’abord ne pas nuire ». Maintenant ça serait plutôt « d’abord ne pas SE nuire »… Vous imaginez une médecine uniquement orientée vers l’acte, les dépassements d’honoraires et la défense de ses intérêts ? Qu’est-ce qui reste d’intéressant à faire ? C’est vrai, je fais partie de ceux qui demandent un peu la lune, des gens qui soient à la fois bons techniciens et bons psys, mais on pourrait faire un compromis en définissant que l’échographie obstétricale, c’est un moment particulier dans l’histoire d’une grossesse, et que les gens qui viennent s’attendent à un certain nombre de performances, et pas seulement des chiffres…

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